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jeudi 26 août 2010

50 - Abstraction & figuration

Je vais vous faire part d'une réflexion qui m'est venue à l'esprit après la lecture d'un livre que je vous recommande fortement : "Je suis bloqué devant ma toile" d'Olivier Wahl. Au chapitre 3, "Le temps de la création" il tente de démystifier le fait de créer en opposant l'action de créer et de copier. Olivier Wahl est un peintre de l'abstraction et comme pour beaucoup de peintres contemporains, il oppose les deux actions, alors que je suis persuadé que les deux sont complémentaires. Il termine son paragraphe d'introduction par, je cite : "Je ne sais pas si c'est par l'imitation qu'on apprend à faire des enfants !". Mauvais exemple à mon avis, car le fait de faire des enfants est sans doute, chez nous les humains, une des rares actions instinctives qui nous reste, inscrite dans nos gènes par mère nature et commune à toutes espèces vivantes sur notre planète liée au maintien de l'espèce.

En revanche l'action de créer est l'une des choses qui nous sépare du monde animal. Elle fait appel à notre intellect, à notre conscience de ce que nous sommes, conscience de notre image, notre propension à la reproduire est unique. L'art est la première manifestation de notre intelligence spécifiquement humaine. Pour moi, le plus grand des artistes qui a tout inventé, c'est celui qui, pour la première fois, a représenté sur une paroi rocheuse la silhouette de l'animal qu'il chassait. A noter au passage, que ces peintures pariétales, les plus vieux témoignages d'art pictural, sont des pastels, pigments naturels posés à même le support à l'aide des doigts.
Je rejoins Olivier Wahl quand il écrit que, je rajouterai pour l'humain, "la création n'est pas un acte extraordinaire". Mais je suis persuadé que pour bien créer, il faut une maîtrise des outils que l'on utilise et pour dominer ces outils, il faut apprendre. Copier est une bonne méthode pédagogique qui a fait ses preuves. C'est celle que j'utilise à l'Académie et c'est celle que j'utilise pour moi-même en travaillant avec d'autres peintres pastellistes.


Je fais souvent le parallèle entre la peinture et la musique. Extraire un son d'un instrument de musique n'est pas un acte extraordinaire non plus. En extraire une mélodie demande déjà beaucoup plus de travail. Il me paraît improbable de composer un morceau sans avoir auparavant joué de nombreux autres, écrits par d'autres auteurs. Il est curieux qu'en art pictural dit moderne, on se soustraie de ces fondamentaux et que l'on tente de faire croire que pour créer il suffirait d'en avoir l'envie. Un message largement diffusé par nos professeurs d'art plastique dans nos lycées et collèges.


Patrick Martin
Voici un autre avis du peintre B. Brice radicalement à l'oposé de O. Wahl : "La création actuelle est le reflet de notre époque, outrages à la beauté sous prétexte de modernité. L'art d'émouvoir a laissé place à l'art de surprendre, le bien fait a cédé sa place au vite fait qui à son tour est vite consommé. L'exemple à suivre devient celui qui choque le plus. La mode opte pour des formes d'expressions hermétiques qui imposent l'apprentissage d'une rhétorique spécifique. Ce qui permet à toute une catégorie sociale de se distinguer de la masse qui ne peut alors "comprendre" cet art élitiste."

Thierry Citron



Lionel Asselineau

Pour finir cette réflexion je vais vous faire part de deux extraits de ce livre, car j'aime beaucoup la définition qu'Olivier Wahl donne d'une œuvre abstraite. Contrairement à ce qu'on pourrait croire après ces quelques lignes, je n'ai rien contre l'art contemporain, bien au contraire, je n'oppose pas l'abstraction à la figuration, je crois simplement que les deux modes d'expression ont leurs places sur les cimaises.
EXTRAIT 1 : Certains tableaux représentent quelque chose, c'est-à-dire que leur motif évoque une réalité du monde extérieur, un paysage, un personnage. Mais il existe aussi des tableaux dans lesquels rien n'est représenté, qui ne se réfèrent pas à un monde extérieur. Ce qui est à voir est directement proposé comme tel. Par exemple, une couleur, un geste, une matière que le peintre considère comme intéressant à montrer sans qu'il y ait la moindre intention de signifier quelque chose ni d'évoquer un objet en référence.
Beaucoup de personnes disent qu'elles ne comprennent pas la peinture qui ne représente rien. Cependant, l'expérience montre que ce n'est pas aussi simple. J'ai rencontré souvent des personnes qui avaient un tel point de vue dans la conversation en général et qui pourtant, face à un tableau abstrait, pouvaient dire : "Mais celui-ci, je ne sais pas pourquoi, je l'aime."

Violette Chaminade

EXTRAIT 2 : Dans un tableau abstrait, le rouge ne renvoie ni au ciel embrasé par un couché de soleil, ni à une tomate, ni au symbole de l'interdiction, ni au sentiment de la colère. Il est juste rouge. Il a cette qualité particulière d'être cette couleur-là et c'est cela que vous regardez. De même un tableau est un espace en lui-même, une étendue sur laquelle le peintre organise des traits, des lignes, des surfaces colorées ou non. Il n'y a rien à "comprendre" dans une œuvre abstraite mais juste une relation directe et sensitive à établir avec elle. Regardez-là pour ce qu'elle est, une simple étendue colorée et dessinée.

vendredi 13 août 2010

49 - Pourquoi des vieilles carrosseries ?

La bergerie
Je réponds enfin à la question de Laurence, pourquoi ce thème des oubliés ?
Entre ma mise en situation de mes nus et les oubliés, je bouscule un peu les conventions du pastel. Ce médium, qualifié de "classique" et qui semble inadapté à la peinture moderne et abstraite, "quoique..." me diront Thierry Citron et Violette Chaminade, a des qualités que peu soupçonnent, notamment pour reproduire les textures.
Cela dit, ma formation est loin d'être classique, je suis autodidacte et c'est mon vécu qui m'a forgé. Il y a vingt ans, j'étais illustrateur dans les sports mécaniques et plus particulièrement dans le milieu de la moto. J'ai côtoyé ces pilotes funambules aux talents d'extraterrestres accomplir, week-end après week-end, ces circonvolutions sur des bandes de bitume au mépris du danger.
Christian Sarron
Mais j'ai surtout fréquenté ces mécaniciens, orfèvres du tournevis et de la clef à pipe. Ces hommes pour qui chaque millimètre carré de leur machine infernale est connu. Ces hommes qui choyaient leur fauve mécanique comme si c'était leur bébé.
À chaque nouvelle illustration, ils venaient, curieux et prenaient plaisir à la décortiquer, à la recherche d'une erreur d'interprétation. C'est fou comme ils étaitent terre à terre. Ils en trouvaient peu.
Freddie Spencer
Un jour, l'un d'eux s'écria à son compère en regardant une de mes œuvres "Tu sais ce que c'est ça ?
"Ben non, à cet endroit-là, je ne vois pas" rétorqua l'autre.
"C'est une plaque que j'avais soudée, entre deux Grands Prix, après sa chute (du pilote), on n'avait pas eu le temps de rentrer à l'atelier refaire la pièce..."
Ils se tournèrent vers moi, le regard respectueux. Devant eux, sous forme d'une illustration, ils retrouvaient leur pur sang de métal avec ses blessures soignées, le fauve vivait sous leurs yeux. J'ai alors compris que je m'étais imprégné de leur discours, de leurs gestes de mécanos, de leurs regards quand il voit leur bijou confié au pilote et s'éloigner du garage. J'ai su que c'était un peu d'eux-mêmes que je dessinais. Même une moto de course bardée de sponsors a une âme.

Alain Prost
Mon pote Michou
Un regard que j'ai aiguisé pendant plus de dix ans. C'est ce même regard que j'ai posé un jour, sur une vieille Quatre Chevaux Renault, oubliée dans un parc d'une villa arlésienne. Certains pensent, sans trop comprendre, des hommes le plus souvent, que je peins des vieilles voitures sans intérêt. Imaginez son propriétaire et vous serez plus proche de la vérité. N'est-ce pas Véronique, l'heureuse propriétaire de" 4 Chevaux au pré" ?

Il est curieux de constater que les peintres de la marine ont depuis longtemps et avec succès, peint les tôles rouillées de rafiots ancrés à jamais à un quai délabré, voire même retranscrit les ambiances sombres et ferrailleuses des docks hérissés de leurs grues. Alors que peu de peintres ont eu la même démarche vis-à-vis de l'automobile. Les marins seraient-ils plus sentimentaux que les automobilistes ? Sans doute.

Je ne peins pas des vieilles tôles rouillées, je peins un vécu. L'humain n'est jamais loin dans mes tableaux.