Jean-Pierre Mérat, Président de la Société des Pastellistes de France, nous a quittés.
Nous sommes orphelins d'un homme que certains ont encensé et d'autres réprouvé. Nous sommes orphelins d'un homme qui se révéla être un guerrier inlassable pour sa cause et sa passion : le pastel ; même si parfois il se trompa de bataille, nul ne s'est autant battu que lui pour notre art et tous aujourd'hui, aussi bien les pour que les contre bénéficient de ses victoires. Si les associations de pastel fleurissent dans l'hexagone, c'est grâce à l'aura de la Société des Pastellistes de France (SPF) qui leur sert d'émule. Si des expositions consacrées au pastel se font jour ici et là, c'est grâce au prestige des salons de la SPF et à leur renommée. Si des noms comme Chris, Picoullet, Barth, Caro, Martin, Thomas et bien d'autres vous sont désormais familiers, c'est grâce au travail de la SPF. Si vous pouvez acheter un numéro "spécial pastel" de Pratique des Arts, c'est toujours le fruit de cet inlassable combat de la SPF.
Remontons dans le temps pour comprendre l'histoire de cette Société :
Au XVIIIe siècle le pastel atteint une renommée inégalable essentiellement par ses portraitistes Rosalba Carriera, Maurice Quentin de la Tour, Jean Etienne Liotard ou encore Jean-Baptiste Perronneau. Puis la pratique du pastel se "féminise", technique enseignée aux jeunes filles de bonne famille, le pastel devient une pratique d'amateurs, un talent de société. Il est délaissé au XIXe siècle. Puis renaît de ses cendres à la fin de ce siècle.
L'année 1870 marque la fondation, à Paris, de la Société des Pastellistes, suivie en 1880, par la première exposition à Londres de son homologue britannique, la Pastel Society. La Société des Pastellistes est animée, en 1885, par Albert Besnard, académicien, nommé président, qui exposera d'illustres artistes, comme Helleu, Lévy, Puvis de Chavanne, Henri Gerveix, membre de l'institut qui fut le deuxième président de la Société qui deviendra la Société des Pastellistes Français et qui accueillera Berthe Morisot, Toulouse-Lautrec, Degas, Mary Cassatt. Mais le XXe siècle est un siècle de doute et de remise en cause. Le cubisme, le surréalisme et l'abstraction font leur apparition, la seconde guerre mondiale interrompt les activités de la Société des Pastellistes Français et le pastel sombre dans l'oubli.
En 1984, une petite équipe de passionnés décide de faire revivre cette société sous le nom de Société des Pastellistes de France, Jean-Pierre Mérat en est le président. Il aura fallu entreprendre une véritable " croisade " de plus de 25 ans pour faire redécouvrir l'art du pastel. Informer le grand public, convaincre les artistes pour qu'ils consentent à s'y intéresser de nouveau. Organiser des salons et y inviter les grands pastellistes étrangers, notamment les artistes anglais, américains, canadiens, australiens, l'enseignement de l'art du pastel n'ayant jamais été abandonné dans les pays anglo-saxons, alors qu'en France, le pastel était devenu un simple moyen d'étude rapide.
Aujourd'hui je suis orphelin d'un homme dont j'avais en commun cette passion pour les femmes, même si, oralement, nous ne l'exprimions pas de la même manière, mais derrière nos chevalets, nous avions en tête cette même image de la beauté. Je suis orphelin de cet homme qui m'a conforté dans ma passion pour ce médium, m'a encouragé, m'a aidé en me disant que désormais je ne serai plus seul. Grâce à lui et à la Société, j'ai fait connaissance de pastellistes prestigieux. J'ai pu apprendre auprès de peintres talentueux et enfin exposer moi-même au sein de ces salons. Je lui en serai reconnaissant toute ma vie. Je vous livre ci-dessous un texte qu'il m'avait envoyé à une époque où l'incertitude était mon lot quotidien :
Si tu peux ...
Si tu peux n'être jamais satisfait de ton ouvrage,
Et, sans te décourager, poursuivre la perfection,
Te remettre en question lorsque tu te crois génial,
Et, sans un soupir, continuer à apprendre ton métier ;
Si tu peux être passionné sans te mentir à toi-même,
Si tu peux faire taire ton orgueil et savoir rester humble,
Et, te sentant incompris, poursuivre ta quête sans relâche,
Sans cesser de lutter pour atteindre ton idéal ;
Si tu peux ignorer les modes folles qui font se pâmer les sots,
Si tu sais t'amuser des médisances comme des flatteries,
Admirer les belles œuvres de tes aînés et de tes confrères
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu peux œuvrer malgré les échecs sans courir après la gloire,
Si tu sais rester sage devant les honneurs éphémères,
Et, sans en être dupe, t'interroger sur la valeur de ton travail,
Et continuer à parfaire ton talent pour mieux servir ton art ;
Si tu sais observer et t'émerveiller des beautés de la nature,
Si tu peux, à ton tour, faire rêver les pauvres et les riches,
Apporter à des inconnus un instant de bonheur,
Sans jamais te croire supérieur à eux ;
Si tu remercies les dieux d'avoir la chance d'exercer ton art
En te laissant être ton propre maître et ton seul juge,
Si tu sais que cette liberté se mérite et que tu dois en être digne,
Si tu sais te respecter en respectant les autres,
Alors les gueux, les princes, les rois du monde t'envieront,
Ils seront à tout jamais tes amis, toi qui leur offres la Beauté
Pour leur faire oublier les folies de leur vie,
Alors, tu seras un artiste, un vrai.
hommage à Rudyard Kipling
Jean-Pierre MÉRAT
Je terminerai ce message par les propos du peintre américain Nichola Simmons, qui les attribue à l'aquarelle et qui sont tout aussi valables pour le pastel : "Ne persistons pas à vouloir séparer l'aquarelle - et le pastel - des autres techniques et du reste du monde de l'art. Le statut injuste et pourtant traditionnel, de technique de deuxième catégorie est une idée fausse ! Un regard, même sommaire, sur les œuvres produites par les artistes d'aujourd'hui suffit à le démontrer. Cependant cette notion persiste dans les musées, parmi les conservateurs, les galeristes et certains artistes. On a souvent expliqué ce phénomène en arguant des problèmes de tenue dans le temps et d'hypothétique fragilité, mais l'évidence de l'histoire ainsi que les nouveaux matériaux sont autant de preuves de l'invalidité de ces arguments. L'avenir de l'aquarelle - et du pastel - dépend d'un démantèlement réussi de ces barrières et de la réussite du défi de faire découvrir ces médiums à un nouveau public plus jeune."
Que la Société des Pastellistes de France perdure et qu'elle sache qu'elle pourra toujours compter sur mon aide et mon soutien.